Seuls au combat : la santé mentale plus précaire chez les travailleurs autonomes
Plus vulnérables aux aléas de l’économie et de la vie — notamment pendant la pandémie de COVID-19 —, les travailleurs autonomes pratiquent leur profession avec beaucoup de pression sur leurs épaules.
« On ne peut pas réduire la question de la santé mentale seulement à des prédispositions psychologiques, avance la sociologue Caroline Dawson. Le stress chronique que peut vivre un travailleur autonome — qu’il a assurément plus de risques de vivre que des travailleurs syndiqués — a des conséquences sur sa santé mentale. »
Enseignante en sociologie au Cégep Édouard-Montpetit, elle insiste donc sur la nécessité de replacer la santé dans un contexte plus large que ce à quoi tente de le réduire le discours en vogue, très centré sur la responsabilité individuelle de prendre soin de soi et d’adopter de saines habitudes de vie. « [Les travailleurs autonomes] répondent à des demandes et à des exigences aussi sinon plus importantes que celles des autres travailleurs, mais sans le soutien pour y faire face. »
Des trous dans le filet social
Un constat émerge rapidement lorsqu’on recense les facteurs facilitant une bonne santé mentale pour les travailleurs autonomes : ceux-ci se font rares. D’abord parce qu’ils sont exclus d’une grande partie de la Loi sur les normes du travail, les privant donc du droit au salaire minimum, de congés de maladie, de vacances ou d’une semaine de travail de 40 heures maximum. Puis, parce qu’ils ont peu d’aide des collègues et qu’ils font face à des exigences de travail souvent disproportionnées.
L’Institut national de santé publique du Québec a d’ailleurs établi la liste de facteurs psychosociaux « qui augmentent la probabilité d’engendrer des effets néfastes sur la santé physique et psychologique des personnes exposées ». Ils comprennent la charge de travail, le manque d’autonomie décisionnelle, de reconnaissance et de soutien social du supérieur et des collègues ainsi que le harcèlement psychologique. Sans surprise, la majorité de ces facteurs concernent les travailleurs autonomes.
Qui plus est, la pandémie de COVID-19 a nui à la santé psychologique de ces travailleurs indépendants. Un sondage réalisé par la Banque de développement du Canada auprès de 500 entrepreneurs au mois d’août 2020 révèle que les deux tiers des répondants ont déclaré se sentir fatigués, être déprimés ou avoir peu d’énergie au moins une fois par semaine.
Le poids de la responsabilité
Sans norme juridique pour encadrer leur travail, c’est aux travailleurs autonomes qu’incombe le poids de faire respecter leur droit à la santé. « Cela devient encore plus difficile parce que s’ils ne réussissent pas, c’est vécu comme un échec personnel, souligne Mme Dawson. Ils sont maîtres de leur horaire, mais en même temps, ils sont aussi responsables de tout. »
L’isolement des indépendants diminue leur pouvoir pour améliorer leur sort. Même s’ils adoptent des habitudes pour réduire le stress qu’ils subissent, que ce soit par de l’activité physique ou de la relaxation, celles-ci agissent sur les symptômes et non sur la source de leur état d’agitation, déplore Caroline Dawson.
Quand la prévention passe par de meilleures conditions
Pour la sociologue, bien que l’accès aux soins de santé mentale doive être facilité, ce sont d’abord les conditions de travail des travailleurs autonomes qu’il est impératif d’améliorer.
Parmi les changements nécessaires, il y a la conciliation travail-famille. Plusieurs travailleurs autonomes optent pour ce statut en raison de la flexibilité qu’il procure. « Ces personnes-là ne choisiraient pas d’être [à leur compte] si le monde du travail était plus conciliant », estime Mme Dawson.
Pour le moment, ces travailleurs se retrouvent souvent pris avec un horaire éclaté et une démarcation entre la vie privée et la vie professionnelle très poreuse. La moitié (51 %) des répondants au sondage de la Banque de développement du Canada réclame d’ailleurs une meilleure conciliation travail-famille.
La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer les inégalités et la précarité qui existaient déjà. Les travailleurs autonomes, comme les autres travailleurs, vivent actuellement avec une grande part d’incertitudes. « En plus, les travailleurs autonomes ont d’autres vulnérabilités qui se superposent à tout ça », dit Caroline Dawson. Et c’est ce qui rend leur santé mentale plus à risque.
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